Pour cette deuxième newsletter, je cherche encore le format et, soyons honnêtes, je crois que c'est un peu trop long. Vous me direz ce que vous en pensez. J'essaierai de faire plus bref la prochaine fois.

Ce que j'ai appris de mes 4 mois sur tiktok

Oui, ça peut paraître bizarre, quand on me connait, d'imaginer que j'ai posté pendant 4 mois sur tiktok. D'ailleurs mes élèves n'en sont pas revenus, ils ont trouvé tout à fait scandaleux qu'une "senior" comme moi ose s'aventurer sur cette appli. En plus, les élèves des autres classes trouvaient que c'était trop la honte parce que mes lunettes sont moches (chacun ses goûts) et parce que j'étais décidément trop vieille pour jouer à ça (achetez-moi un déambulateur). Moi, j'ai trouvé que l'algorithme avait abusé de me cafter comme ça, parce que ça m'étonnerait que mes élèves de 5e aillent spontanément chercher des vidéos de méthodo.

Mais qu'allait-elle donc faire dans cette galère ? L'année dernière, bien décidée à trouver une manne financière pour compléter, si ce n'est suppléer, mes émoluments de l'EN, j'avais dans l'idée de me lancer dans le coaching méthodologique pour les étudiants. Le besoin est évident et mon expertise bien établie. Il n'y avait plus qu'à me faire connaître. Les vidéos courtes sont à la mode, essayons ça. Je me suis ainsi lancée le défi de publier une vidéo de moins d'une minute chaque jour pendant tout le mois d'aout. J'ai posté sur Youtube, Instagram et Tiktok en parallèle, mais clairement le succès a été bien plus grand sur tiktok que sur les deux autres plateformes avec des vidéos visionnées plus de 10 000 fois (ah, oui quand même).

Ecrire pour l'algorithme

C'est quoi une vue ? Honnêtement, je me pose la question. A partir de combien de secondes on considère que ma vidéo a été vue ? Pas besoin qu'elle soit vue en entier à l'évidence, mais alors quoi ? 3 secondes ? 10 ? Sur tiktok, il faut faire court, toujours plus court pour capter l'attention. Cela a forcément des impacts sur la façon dont on écrit et sur la structure de la vidéo. Il faut une écriture efficace, dynamique. Chaque mot, chaque expression doit jouer un rôle. On commence par une accroche (un hook). Et surtout, on n'oublie pas le CTA (call to action ou appel à l'action). Et honnêtement, c'est assez amusant de tenter de faire court et percutant, de chercher comment faire rentrer le plus d'informations de qualité dans le moins de temps possible. C'est un défi tout à fait stimulant qui se répercute aussi sur le montage (même si là, on est plus loin de mon domaine d'expertise). Ensuite si vous voulez que votre vidéo soit vue, il faut créer de l'émotion, tout de suite et de préférence des émotions fortes, pour ne pas dire négatives. C'est le règne de l'émotivité.

Les codes de tiktok

Un autre truc "épatant" avec tiktok, et conséquence du point précédent, c'est les commentaires, toujours charmants, délicats et subtils. Pour dire les choses sobrement, on a facilement droit à la lie des insultes les plus décomplexées. Exprimer son désaccord sans hyperbole, ce n'est pas s'exprimer. Avec des remises en cause systématique de la légitimité du discours. "T'es qui pr dir sa ? - Professeur agrégé et docteur en histoire, et vous ?" "Et tes sources alors ? Où est-ce que tu as vu ça ? " Comment vous dire qu'en 45 secondes, on n'est pas là pour développer sur ses sources. Si vous voulez un cours magistral, allez à l'université. Passé août, j'ai continué à publier de façon plus épisodique (rentrée oblige). Mon nombre de vues a diminué de façon assez importante, même si au final je ne sais pas si c'était dû à mon manque de régularité ou au fait qu'avec la rentrée il y avait plus de contenus publiés et donc plus de concurrence.

Premier constat après un mois d'utilisation : je n'ai pas réussi à dresser l'algorithme pour qu'il me montre des vidéos intéressantes. Après un mois, j'avais encore le fil de vidéos d'une adolescente de 13 ans qui aime les poneys (je n'ai pourtant jamais fait d'équitation) : bimbos hyper maquillées, chevaux nageant dans une piscine, psychodrame sentimental et autres gags qui ne m'ont jamais fait rire. Il faut savoir, pour ceux qui ne fréquentent pas l'application, que l'algorithme se paramètre en fonction des choix que fait l'utilisateur (jusque là rien de bien étonnant), ainsi plus un utilisateur zappe vite une vidéo, moins on lui en proposera du même type à l'avenir. Mais voilà, moi, je suis incapable de zapper une vidéo. J'ai besoin de temps (au moins... 50 secondes) pour évaluer si ce que je regarde est intéressant ou pas. Bref mon cerveau est trop lent pour communiquer avec l'algorithme.

Et donc J'ai quitté tik tok

D'abord parce que les vidéos que je trouvais les plus drôles ou les plus amusantes à créer ne remportaient pas le succès attendu, là où d'autres, très bof, faisaient un carton. Je préfère faire le choix de créer du contenu sur une plate-forme où le public appréciera ce que je propose, plutôt que de m'adapter aux exigences d'une plate-forme et de perdre alors toute authenticité. Ensuite j'ai aussi arrêté à cause de l'obligation de régularité pour rester visible : pour que l'algorithme pousse un compte en avant il faut qu'il publie régulièrement, au moins une fois par jour, voire plusieurs. Pour ma part, mes vidéos étant montées et sous-titrées, il fallait compter à peu près une heure de montage pour une vidéo d'une minute. Donc impossible de maintenir un rythme aussi soutenu avec une vraie vie à côté. Et ça devenait un facteur de stress, l'idée que holala, il fallait absolument que je publie aujourd'hui, vite, vite, sinon... Au final, à deux doigts du burn out, j'ai tout laissé tomber quand je me suis rendue compte qu'en fait, je n'aimais pas ça, le contenu court, que je n'avais pas envie d'en consommer moi-même, alors pourquoi en infliger aux autres ?? Mais du coup, j'ai commencé à me poser plein de questions sur notre consommation de contenu et la mienne en particulier. Et je voudrais promouvoir le concept de contenu durable, tant dans la consommation que dans la création, en reprenant les 3 axes de définition du développement durable (promis je ne vais pas vous faire le cours) : environnement, économie et société.

Impact d'internet et de la consommation de contenus sur la planète

Donc mes petites vidéos mignonnes d'une minute, contribuent-elles à réchauffer la planète ? La plupart de mes élèves répondraient "bah non" à cause du voile de l'immatérialité. Sous prétexte que ce ne sont que des images et que des sons, que de l'immatériel, on a l'impression que ça n'a pas d'impact. Mais ce n'est pas parce que vous ne voyez pas les infrastructures que ça ne consomme pas. Je ne vous proposerai pas de chiffres pour vous faire frémir, sachant que les données se périment très vite (et que tous les chiffres ne me semblent pas si fiables que ça). Mais voici quelques références pour creuser la question : Sur youtube le Mooc Impacts environnementaux du numérique, épisode 1 https://youtu.be/Ky6PZtgzGlI episode 2 https://youtu.be/AJ8bA1iOnL8 épisode 3 https://youtu.be/wIZoGZog250 épisode 4 https://youtu.be/R2hAIchc2bI 5 faits sur l’impact environnemental du téléphone portable https://youtu.be/Gf04WRYdQM0 RTS - Radio Télévision Suisse : Numérique : comment réduire votre impact environnemental ? https://youtu.be/fUJA6tJ3hw0 Et tout le monde s'en fout #78 - La pollution numérique https://youtu.be/64EHipxEh9c

Côté papier : Frédéric Bordage, Tendre vers la sobriété numérique chez Actes Sud, 2021, qui propose des actions concrètes. Eric Vidalenc, dans Pour une écologie numérique, fait le parallèle entre la transition énergétique et la transition numérique : comment faire cohabiter les deux ?

Associations actives sur le sujet des impacts environnementaux du numérique : Amis de la Terre https://www.amisdelaterre.org/campagne/des-produits-pour-la-vie/GreenIT.fr https://www.greenit.fr/ Halte à l'obsolescence programmée https://www.halteobsolescence.org/

Notre attention en danger

Sur ce second point, économie et société se rejoignent.

L'économie de l'attention : quand c'est gratuit c'est toi le produit.

On entend de plus en plus d'inquiétudes autour des impacts de l'usage des écrans dans les domaines de la santé, physique comme mentale. La dépendance aux écrans serait le prochain mal du siècle. Elle atteindrait nos enfants dans leurs développements, mais elle n'épargnerait pas non plus les adultes. Et comble du paradoxe de notre temps, ces messages alarmistes sont largement relayés par les médias eux-mêmes qui en sont à l'origine.

Sur le fonctionnement économique de cette économie de l'attention, je vous recommande les deux épisodes de Stupid Economics, même s'ils datent un peu (5 ans). https://youtu.be/rMV1WaWGb3I et https://youtu.be/ms2lHt9b9CY Sur la mise en place de cette économie de l'attention à partir de l'évolution de la télévision (même si on pourrait arguer que le mal vient de plus loin, que déjà les journaux à sensation pour vendre de l'espace publicitaire...), un reportage de 2010 (du coup, ça date vraiment, ok ) : Le temps de cerveau disponible - le commerce de l'attention https://youtu.be/yqAquBH7xZs