Mais c'est quoi ce calendrier éditorial sans queue ni tête ? Disparue la newsletter de septembre, une impromptue qui s'invite en octobre pour commenter l'actualité (que ça ne devienne pas une habitude) et quoi encore aujourd'hui ? Je prétends qu'on est encore en octobre ? La newsletter de septembre ? Je crois bien qu'elle s'est fait engloutir par les obligations de la rentrée. Faut dire que je me suis lancée dans une rénovation considérable de ma pédagogie et que ça prend du temps. Mais ça, ça fera l'objet d'une prochaine newsletter.

Les suites d'Arras ? Un infini sentiment de solitude face à la barbarie et une prise de conscience. Il y a quelques années, un collègue parlant de stratégie pédagogique rappelait qu'il fallait bien prendre en compte le fait qu'on était en infériorité numérique. Il n'avait pas tort, il pointait surtout le fait qu'un prof ne pouvait pas lancer toutes ses forces pour faire cours dès la première heure. Surtout s'il avait encore 4 ou 5 heures à assurer derrière. Mais il ne faudrait pas croire pour autant que nous soyons seuls. Nous sommes des milliers, chaque jour à chaque heure, à accueillir nos élèves et à tenter de leur apprendre quelque chose. Nous ne sommes pas parfaits, nous ne réussissons pas toutes nos heures, mais personne n'est jamais mort d'avoir assister à une heure de cours ennuyeuse. Alors devant nos élèves nous sommes peut-être en infériorité numérique, mais nous tenons le système au bout de notre bonne volonté, nous n'allons pas renoncer et nous ne sommes pas seuls (ce qui n'empêche qu'on n'aurait rien contre un peu d'aide des politiques et un peu moins de mépris des médias).

Voici donc - enfin ? - la vraie newsletter de septembre-octobre. Pour me rattraper, je vous propose un double numéro : une version écrite que vous êtes en train de lire (la newsletter de septembre que je ne finis d'écrire que maintenant) et une version vidéo de recommandations de lecture qui la complète, mais franchement ça aurait été pénible à écrire et à lire, donc j'ai préféré la tourner. Ainsi en septembre, je vous aurais écrit : https://youtu.be/arx6sVfLfz8

J'aime la rentrée. J'ai beau courir partout comme une folle en essayant de venir à bout d'une to-do list infinie où cohabitent obligations professionnelles et impératifs familiaux ; j'ai beau parfois lever un sourcil perplexe quand je découvre une nouvelle date de réunion parents-profs (mais suis-je le parent ou le prof, mystère...) ; j'ai beau coller avec amour et patience une étiquette sur chaque crayon de couleur ; j'ai beau remplir tellement de documents que j'en viens à ne plus savoir la date de naissance d'aucun de mes enfants dans un ordre cohérent. J'aime cette ambiance de nouveaux départs, de cahiers tout neufs. J'aime ces monceaux de papiers qu'on compte bien remplir, j'aime ces nouvelles activités qu'on commence, les anciennes qu'on retrouve, les bonnes résolutions qui semblent tellement plus faciles à tenir en septembre qu'en janvier. Et puis j'aime la perspective de se diriger lentement vers l'automne, j'aime que les arbres prennent leurs couleurs chaudes et perdent leurs feuilles, j'aime la pente douce vers une nuit de plus en plus longue. J'aime la luminosité de l'automne et parfois ce répit de températures encore douces quand on s'attend à avoir froid (oui ça semble surréaliste après une semaine de rentrée à 32° : le réchauffement climatique tue la poésie). Et là vous vous dites, qu'après les vacances, je vous fais la rentrée et j'ai bien l'air décidé à écumer tous les marronniers. Originalité zéro. C'est possible.

Mais c'est d'une autre rentrée que je voulais vous parler. Je voulais vous parler de la rentrée littéraire.

Une rentrée littéraire à deux vitesses

Je n'en ai peut-être pas l'air (encore que j'ai déjà évoqué mon snobisme intellectuel ce me semble), mais je fus longtemps une fidèle auditrice du Masque et la Plume (l'émission de critique culturelle du dimanche soir sur France Inter). https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-masque-et-la-plume Certes les circonstances étaient particulières : en prépa, ces critiques furent mes sinistres compagnons de moult soirées de fin de week end tout aussi sombres, ils accompagnaient mes ultimes révisions avant la reprise d'une semaine toujours studieuse. Et quelque part, je crois que leurs commentaires perfides résonnaient en un tel écho avec ceux de mes professeurs que ça me maintenait dans l'ambiance. Avec le recul, j'ai du mal à ne pas y voir l'expression de la critique dans ce qu'elle a de plus parisien et de plus snob. La critique qui aime se prendre la tête que ce soit au cinéma ou dans un livre, la critique qui va au théâtre (c'est tout dire), la critique qui n'aime ni Tolkien, ni les Xmen. Une sorte de repoussoir qui prône l'onanisme intellectuel peine-à-jouir et dont le principal ressort est d'exclure pour justifier son existence. Une critique qui ne parle pas aux vrais gens, vrais gens qui de leur point de vue ne savent probablement pas lire.

Depuis je me suis convertie à booktube. Comme la contraction vous le laisse supposer, le booktube regroupe, de façon informelle, des youtubers qui proposent des vidéos de critique littéraire. Vous y trouverez trois types de vidéos : les PAL, acronymes de Pile A Lire, soit une liste de livres que le youtuber se propose de lire en temps limité ; les Hauls, vidéos de retour de librairie où le youtuber vous présente ses emplettes ; et enfin les vidéos de critiques à proprement parler où le booktuber évoque ses lectures. Et on passe de l'autre côté du miroir. Autant l'archétype du critique littéraire canonique est un vieil homme blanc issu de l'intelligentsia parisienne (Hello boomer !) qui ne jure que par le dernier Goncourt et Flaubert (non, pas Flaubert, plutôt un auteur du XXe siècle que lui seul connait), autant le booktuber est le plus souvent une booktubeuse qui a 30 ans tout mouillé et qui aime le young adult (comprenez la littérature pour les moins de 20 ans). Pourtant elles n'ont pas moins de légitimité à parler littérature : elles sont libraires, bibliothécaires, éditrices, profs... femmes du livre assurément. Le cliché en est tellement caricatural que les rares booktubeurs (homme donc) semblent obligés de performer une certaine féminité (je ne juge pas, je constate) et des goûts sensiblement identiques au reste de la communauté : des goûts féminins, sensibles et surtout sans prétention.

Autour de cette double scène culturelle se dessine une sorte de littérature qui se vit et qui se pense à double vitesse et on peine à croire que ces deux mondes parlent de la même chose. Alors y aurait-il deux mondes qui se font face dans ma bibliothèque, dans mes lectures dans ma librairie ? Le monde des livres (mon monde des livres) serait-il devenu une caricature de l'opposition (déjà peu réaliste) entre la vieille génération des soixante-huitards, virile, dominatrice et rationnelle et la jeune génération des millenials gagnée aux valeurs féminines du sentimentalisme et de la vie facile ? D'un côté les sobres couvertures de gallimard (https://youtu.be/Z02Jn8jPJsU?si=m5ba2eLFSRZ2fE1Ividéo) face aux explosions colorées copiées des livres américains. La querelle des anciens et des modernes pimpée pour le XXIe siècle.

Et les booktubers y sont sensibles : ils savent qu'ils ne proposent pas de la grande littérature, voire ils reconnaissent que ce qu'ils proposent ne relève que du divertissement. Et donc, je me pose la question : le reste de la littérature, elle sert à quoi si ce n'est pas du divertissement ? Qui lit pour s'ennuyer ?

Non, ce n'est pas une vaine provoc', c'est une vraie question. Pourquoi les gens lisent-ils ? Et la réponse n'est pas si simple à trouver car si l'industrie du livre vous fournit moult données statistiques (https://www.sne.fr/economie/chiffres-cles/), elle ne distingue pas entre les livres de fiction et le reste. Pourtant quoi de comparable entre lire une recette de cuisine, un essai politique et un roman ? D'autre part les critères pour être considéré comme un lecteur sont à pleurer : un livre par an et vous valider le challenge !! Et ma question elle-même est déjà révélatrice de ce qu'est vraiment la littérature : je ne demande pas pourquoi on écrit. Ca, ça ne résoud rien, l'auteur peut bien faire ce qu'il veut de ses loisirs. Ce qui fait la littérature c'est l'acte de lecture. (vidéo) https://youtu.be/W0sw4iAQxpA?si=hmR12NxRgLuyXmaT

Existe-t-il une hiérarchie universelle des lectures, ou n'y a-t-il que moi qui cache ma "littérature de midinette" quand je lis une romance ? Cette honte est d'autant plus étrange que je ne la ressens pas quand je lis de la SF ou de la fantasy : est-ce parce que ça fait plus de 25 ans que je lis ce genre littéraire là ou parce que l'évolution récente de notre culture l'a rendu bien plus mainstream ? Et parlons de romance justement, pourquoi des grands auteurs classiques ont eu le droit d'écrire des histoires d'amour et d'en être porté aux nues et qu'aujourd'hui nos histories d'amour n'ont plus le droit qu'à ce sinistre terme, même pas français de romance, dont la consonnance rappelle au passage que le coeur historique du roman repose précisément sur des histories d'amour (cf. Denis de Rougemont https://fr.wikipedia.org/wiki/Denis_de_Rougemont) ? Et de parler de qualité stylistique. Oui peut-être, encore que certains styles particulièrement dépouillés ne sont pas les moins émouvant et que le français a toujours aimé la bréviloquence. Et me voilà bien plus prise et happée par certains livres tout venant que par des monstres littéraires qui me sont tombés des mains. Effet de génération ? Evolution de la langue ? Peut-être aussi.

Où on fait un tout petit détours par la sociologie

Allez, j'ai bien envie de vous parler de Bourdieu et de sa domination culturelle pour justifier ma honte de lectrice. Mais récemment, j'ai découvert les travaux de Philippe Coulangeon qui met un peu à jour le concept (il était temps) en promouvant l'opposition entre univore et omnivore (qu'il emprunte à un chercheur américain). La distinction aujourd'hui ne repose plus sur le fait de consommer de l'opéra plutôt que du rap mais de consommer de l'opéra ET du rap. Il y aurait donc en bas les univores qui n'ont qu'un seul type de consommation culturelle et en haut les omnivores qui consomment de tout. Et voilà mon petit snobisme culturel rassuré : je remonte en haut de la pyramide, je suis une omnivore littéraire et je peux retourner lire mes romances, à condition quand même de lire le dernier Goncourt. Bon, Philippe Coulangeon précise quand même que diversité ne signifie pas forcément disparition de la hiérarchie : je vais un peu vite en besogne. Si ça vous intéresse il explique ça là (en à peine 30 minutes, certainement pas assez d'après lui pour expliquer l'ensemble de son travail) mais je vous préviens, c'est un universitaire, pas un vulgarisateur sur youtube. https://youtu.be/Y-8-JiWpDgQ?si=qVzAXH-VoHb4JZEM Sinon, la version light (ou midinette) c'est par ici : https://youtu.be/fKdWChtjG7s?si=FbxUFjX2xeGMHI1P&t=1149

Avant de se choisir un bon livre

Ce qui est fascinant à écouter les booktubers, c'est que leurs commentaires et leurs explications nous font prendre conscience de nos propres façons de choisir un livre. Et le processus est fascinant. Quelques exemples :